Lettres Exprès - Réparer les vivants

Catherine Lecteur

Réparer les vivants

Maylis de Kerangal
Réparer les vivants - Maylis de Kerangal
Vingt-quatre heures. Vingt-quatre heures seulement entre le départ de trois jeunes pour une séance de surf et la transplantation du cœur de l’un des trois dans la poitrine d’une malade en attente de greffe. Moins de vingt-quatre heures, beaucoup moins, pour permettre aux parents choqués de comprendre que leur fils est en état de mort cérébrale, et décider s’il aurait voulu donner ses organes. Ce formidable roman, que j’ai lu sans pouvoir décrocher retrace l’intégralité de cette journée, de ce dimanche d’hiver après lequel plus rien ne sera pareil.
Le style m’a beaucoup plu, le vocabulaire recherché, les phrases longues qui tantôt véhiculent des sentiments très forts, ou tantôt maintiennent une légère, très légère distance avec les faits. Impossible toutefois de rester à l’écart des émotions tout du long. Pour moi, le moment où les parents commencent à parler à l’imparfait de leur fils qui repose un peu plus loin dans une chambre en réanimation, a été le moment où il m’a fallu poser le livre pour aller respirer un peu…
Le point fort du roman, outre son style, est aussi de ne pas rester seulement du côté des parents, mais d’aller ausculter les pensées, observer les gestes du médecin urgentiste, de l’infirmier coordonnateur de greffes, de l’infirmière de réanimation, ou de la malade en attente. L’auteur s’est extrêmement bien documentée sur les dons d’organes, sur la définition clinique de la mort, elle a même assisté à une transplantation cardiaque, et sans doute s’est-elle tout autant renseigné sur le surf, l’élevage d’oiseaux chanteurs ou le chant lyrique, qui viennent en contrepoint. Pourtant, son écriture très personnelle fait qu’on n’a jamais l’impression d’une explication magistrale. Les lieux, des plages à l’aube aux appartements, des hôpitaux à la ville du Havre, sont magnifiquement décrits, offrant un cadre blanc, épuré, une lumière pâle de bord de mer au chagrin des parents. Un roman plein de douleur, certes, mais aussi porteur d’espoir.