Entretien avec DOA au sujet de"Pukhtu Secundo"
« “Vous avez bonne mémoire.” Montana acquiesce, songeur. Ce patronyme le hante depuis six ans. Après avoir atteint leur objectif, empêcher l’attaque et récupérer le puissant neurotoxique d’origine française dont les islamistes entendaient faire usage, le clandestin et l’infiltré, Robert Ramdane, se sont volatilisés. Un imprévu contrariant. Il avait en effet été décidé de rhabiller les deux hommes en ennemis de la République et de les tuer, pour leur faire endosser plus aisément la responsabilité d’une série de décès suspects, ceux des véritables intégristes, auxquels les journaux et les services de police commençaient à s’intéresser. “Où se cache-t-il ?” »
Pukhtu Secundo est-il la suite de Pukhtu Primo ?
Ce ne sont pas deux romans, mais un seul roman coupé en deux. Souvenez-vous, Pukhtu Primo se terminait par « Fin du livre premier ». Donc l’action reprend exactement là où on l’a laissée. La différence majeure, c’est que l’Afghanistan occupait les deux tiers du premier tome et le reste du monde le tiers restant, alors qu’ici c’est exactement l’inverse.
Y a-t-il un rapport avec l’actualité, l’Afghanistan passant au second plan depuis quelque temps ?
Non, parce que le livre est calé sur deux années très particulières du conflit afghan, 2008-2009, où le pays était au premier plan. Il n’y a pas de hiatus temporel entre les deux tomes. En fait, Pukhtu termine un cycle commencé avec Citoyens clandestins, qui se déroulait en 2001. À la fin, les trois personnages principaux avaient fort peu de raisons de se recroiser. Comme j’avais envie d’écrire une suite, il fallait que je trouve un moyen scénaristique pour les faire se retrouver. J’ai donc choisi la guerre en Afghanistan, qui est une conséquence logique du 11-Septembre, et le trafic d’héroïne, qui me permet de me balader dans le monde entier. Ce trafic mondial est un peu le fil rouge du livre.
Vous avez accumulé une documentation impressionnante…
Je dirais trois choses à propos de la documentation : d’abord, il y a une notion de plaisir dans le fait d’explorer des réalités qui ne sont pas les nôtres. Ensuite, il y a le côté obligatoire : le bombardement médiatique est devenu tel qu’on ne peut plus se contenter d’à-peu-près quand on aborde des sujets d’actualité. Enfin, on ne peut pas faire l’économie de ces recherches si on veut avoir une vision complète, juste et équilibrée. Si on ne veut pas se limiter à des propos de comptoir, il faut creuser !
Ne risque-t-on pas d’être submergé à force de documentation ?
La documentation nourrit la réflexion de l’auteur dans sa construction du texte. Quand on décide de placer l’intrigue en Afghanistan, on se dit « mais qu’est-ce que je connais de ce pays ? » On commence par des ouvrages généralistes, on découvre des choses que l’on ne soupçonnait pas, on va plus loin, ce qui génère de nouvelles questions, de nouvelles interrogations, de nouvelles envies d’explorer… Du coup, on s’interroge sur la manière d’intégrer telle ou telle situation dans le roman. Mais c’est vrai qu’il faut savoir faire le tri entre ce qu’on garde ou pas, c’est indispensable pour muscler l’intrigue.
Muscler l’intrigue, et aussi trouver une langue…
Il y a un exercice de langue pour aller au-delà du simple fait : quelle langue utiliser pour représenter des réalités qui ne sont pas simples ? On m’a reproché l’usage d’acronymes. Mais si j’étais allé jusqu’au bout de ce que j’ai appris, il y en aurait à toutes les lignes : l’acronyme, c’est par essence le vocabulaire des militaires, de l’espionnage. Avec eux, tout est acronyme ! En même temps l’acronyme est une langue en soi, une façon de mettre la réalité à distance : il plus facile de dire IED, Improvised Explosive Device, que de parler d’une bombe artisanale qui estropie, qui décapite.
Diriez-vous que vos romans sont plutôt longs, ou plutôt amples ?
D’abord, la bonne longueur, c’est la longueur qui convient au lecteur ! Mais j’ai eu l’impression qu’il fallait que je prenne mon temps pour poser certains aspects du livre, comme l’Afghanistan. Même si l’on se concentre sur quelques aspects seulement, cela réclame un peu de place, sous peine de devenir indigeste. Ensuite, je travaille par couches successives — la problématique de la guerre, le trafic d’héroïne…—, chacune traitée à travers le regard du protagoniste le plus directement concerné, ce qui entraîne une multiplicité des points de vue. Chaque situation vécue devient un fragment du tableau général. J’ai privilégié cette méthode, mais ça prend un peu plus de place !
Entretien réalisé avec DOA à l’occasion de la parution de Pukhtu Secundo.
© Gallimard