voyages au fil des pages - Un barrage contre le Pacifique

Un barrage contre le Pacifique - Marguerite Duras
Il ne se passe pas grand-chose dans ce roman (largement inspiré de l’histoire familiale de Duras) et on finit par ressentir ce qu’éprouvent les personnages : un mélange d’étouffement, d’agacement, d’apathie et d’impatience que quelque chose change. Peu de péripéties et beaucoup d’attente, ce qui n’empêche pas le texte d’être riche et complexe. Les thèmes sont nombreux : la corruption jusqu’à la moelle de l’administration coloniale (« un barrage contre le Pacifique c’est encore plus facile à faire tenir qu’à essayer de dénoncer votre ignominie »), la misère des colonisés et celle des colons trop pauvres ou pas assez audacieux pour se lancer dans la contrebande, l’injustice, les illusions perdues, le désespoir qui mène au bord de la folie (« Elle avait aimé démesurément la vie et c’était son espérance infatigable, incurable, qui en avait fait ce qu’elle était devenue, une désespérée de l’espoir même« ). Une histoire d’envies d’ailleurs (la mère quittant la France, les jeunes rêvant de quitter la concession) et d’émancipation : il y a une sorte de fusion entre la mère et ses enfants, entre le frère et la sœur, telle qu’on se demande si, quand, comment ils vont devenir adultes, ou pas.
L’écriture est simple, fluide, et si les personnages n’ont rien de sympathique, on en vient à avoir pitié d’eux. Il n’est pas anodin que « la mère » n’ait pas de prénom, comme si le malheur et l’administration l’avaient déshumanisée. Alors c’est peut-être là que subsiste un brin d’espoir dans ce roman sombre, violent et désespérant : dans le fait que ses enfants aient un prénom.