Ombres Blanches - Les marécages
Jean-Marc Libraire
Les marécages
Joe R. Lansdale

Début des années 30, la dépression a frappé. Une période de vent et de sécheresse a chassé les habitants du nord du Texas, de l'Alabama, de l'Oklahoma vers le mirage californien mais, dans les marécages de l'est du Texas, on dirait que rien ne bouge. Lors d'une balade avec sa soeur, Harry, 13 ans, trouve le cadavre d'une femme noire, mutilé, tailladé, et attaché à un arbre avec du barbelé. Son père Jacob, paysan, coiffeur et constable du village est bien le seul à essayer de comprendre ce qui se passe, la mort d'une noire n'intéressant guère la population blanche. Mais un deuxième cadavre apparaît, puis un troisième. Pour Harry, c'est sûr, il s'agit de l'Homme Chèvre, le monstre des marais. Pour les habitants du village, c'est un noir, n'importe lequel fera l'affaire. Les esprits s'échauffent, le Klan très présent pousse au lynchage, auquel seul Jacob essaie de s'opposer, la tension monte... On connaît bien le roman type « souvenirs d'enfance », le ton, le style de celui-ci y fait penser. Avec cette particularité qu'ici ce sont « souvenirs d'enfance avec croque-mitaine ». Il fallait oser mélanger deux types de récits apparemment aussi incompatibles que le récit d'enfant et l'histoire de serial killer. Lansdale a osé, et réussi. Le roman, frais par le ton, sombre par le fond, fait venir à l'esprit quantité d'images dont les plus fortes sont Les Raisins de la colère pour les description de ce qui se passe dans les zones où la sécheresse et le vent sévissent, La Nuit du chasseur (Folio Policier n°354) pour le final époustouflant sous la lune. Le récit très cinématographique et très visuel du gamin laisse une bonne part au merveilleux dans sa description de la nature, permet une touche de fantastique avec le fameux Homme Chèvre, mais n'occulte pas, à côté de cet imaginaire, tout le sordide des relations noirs / blancs de cette époque dans le Texas profond : ségrégation, racisme exacerbé, lynchages, Klan, peur permanente de la population noire... Sans oublier l'ombre du serial killer, présente sans l'être, comme un mouvement fugitif entr'aperçu puis oublié. Une réussite !