Librairie Sauramps - Zé

François Libraire

Le Sang du Capricorne - I
Bernard Mathieu
Zé - Bernard Mathieu
La trilogie de Bernard Mathieu que Zé (Folio Policier n° 345) entame est à plus d'un titre la somme littéraire la plus singulière du polar français contemporain. D'abord parce que Mathieu s'expatrie, en quelque sorte, et promène sur un pays étranger, le Brésil, un regard à la fois extérieur et intérieur. À la fois spectateur de l'action qui se déroule, fonctionnant sur un ton à la fois cynique et empathique vis a vis de ses personnages, mais aussi acteur concerné, et consterné, d'une situation de misère sociale qu'il a pu de toute évidence côtoyer de très près.
La misère décrite dans la trilogie du Sang du capricorne est celle des taudis qui est partout présente dans le romanesque sud-américain, de Fernando Vallejo au récent Hotel Brasil de Frei Betto. La misère des années 70 aura été celle des dictatures militaires triomphantes, les années présentes sont celles qui succèdent à la fin des illusions. Corruption généralisée, dégénérescence des moeurs, on est putain lorsqu'on est femme, au moins voleur lorsqu'on est un homme, pourri jusqu'à la moelle lorsqu'on est riche et bientôt mort lorsqu'on se veut un coeur pur.
L'itinéraire de Zé, jeune flic tout frais émoulu de l'école de police, fils spirituel d'Otelo le capitaine de police incorruptible, croisera en diagonale les destins de Carmelita, du vieux commissaire Barretto qui roule dans une voiture bien trop belle et bien trop chère pour ses émoluments de fonctionnaire, d'une prostituée retrouvée morte dans un bordel après une nuit de tortures, d'une superbe et richissime blonde qui lui offrira son corps juste avant de se suicider. C'est au fond, une fois de plus, l'éternelle histoire de la pureté jetée en pâture à la corruption et à la violence. A ceci près que Bernard Mathieu est un écrivain fabuleux, qui enroule son scénario autour d'une prose subtile, étonnamment riche et allusive, chargée de l'électricité d'un climat bouillant et de corps affamés qui se cherchent. Car l'écriture de Mathieu est surtout sensuelle, - « Carmelita s'efforçait toujours à l'absence mais la peau de ses épaules, de ses bras, luisait doucement comme si elle irradiait le jaune d'or de son caraco tendu sur ses nichons fermes et hauts... », - une écriture douce et humide qui plonge son lecteur dans une étrange torpeur, faite d'excitation et d'anxiété. Ce qui advient alors au fil de l'histoire, l'amour, le sexe, la douleur, les petits bonheurs, la mort elle-même, se retrouve nimbé d'un voile sous lequel la passion des corps est l'unique certitude.