Premier roman de François Muratet paru en 1999, Le Pied-Rouge marque l'entrée en piste d'un écrivain de polar singulier. Prof d'histoire-géo (nous dit la quatrième de couverture), joueur de go, pratiquant la boxe française, Muratet a imaginé un personnage qui est documentaliste pour L'Express, qui voit les affaires du monde et les réfléchit comme de multiples mouvements sur un plateau de jeu de go, et qu'on voit in extremis et dans les dernières pages de ce roman tataner à mort une grosse ordure jusqu'à lui enfouir les côtes bien profond.
C'est dire si Muratet maîtrise son sujet, en plus d'être un écrivain et un conteur d'histoires des plus convaincants. Marchant ça et là sur les plate-bandes du polar politique à la Daeninckx, un brin sec mais très richement documenté, il n'omet pourtant pas d'opter de temps en temps pour des raccourcis spectaculaires qui en font plus qu'une simple politique-fiction, autrement dit un authentique thriller.
Le roman commence quasiment comme un whodunit' à l'anglaise, ou plutôt comme un Maigret sur les rotules ; meurtre dans une chambre d'hôtel à Paimpol ; un vieux type, anciennement leader d'un mouvement d'extrème-gauche, est retrouvé égorgé comme un poulet. La veille, il avait échangé sa chambre avec Frédéric - le héros de cette histoire - qu'il connaissait mais n'avait pas croisé depuis 15 ans. Hasard, coïncidence, machination ou complot, dès lors les solutions se bousculent.
Muratet nous montre alors toute l'étendue de son talent. Sans se contenter de cette intrigue qu'il aurait pu lancer sur une trame linéaire, il préfère avancer par à-coups, dispersant les fils d'une histoire plus compliquée qu'il n'y paraît sur plusieurs périodes, et aux basques de trois personnages dont on devine le télescopage à venir (mais où, quand, et comment ?). C'est la plus belle idée de cet excellent polar à l'ambition politique clairement définie, construction littéraire à l'appui : nous montrer comment le présent finit toujours par se faire rattraper par les vivants et les morts, surtout lorsqu'ils cherchent à s'extirper d'un passé historique malade ; la Guerre d'Algérie, les luttes FLN-OAS.
« Il avait envie de cogner sur tous ces types qui avaient fait des horreurs pendant la sale guerre à l'abri de leur uniforme. Ces nazis bien français pour lesquels il n'y avait pas eu de procès de Nuremberg ». Les vérités qui ressortiront de l'enquête de Frédéric sont tout simplement assourdissantes ; connexions entre le FIS et le Front National, implication de politiques, de haut-fonctionnaires de la police, collaborations amicales entre nervis franquistes adeptes du tabassage et les Renseignements Généraux, tout y passe.
Au-delà de ce que le roman nous rappelle de la sale guerre, conflit sans cesse enfoui, encore et encore, par les gouvernants en place, se trame aussi l'implosion d'un homme qui voit resurgir ses démons intimes (étonnantes scènes où le sexe sert d'exutoire à une violence qui a du mal à se nommer) jusqu'à un final à la fois éprouvant, et émouvant.