Librairie Sauramps - Le chien qui vendait des chaussures

François Libraire
Le chien qui vendait des chaussures - George P. Pelecanos
On pourra dire que Pelecanos nous livre toujours et à peu de choses près le même bouquin depuis sa découverte en France, mais après tout, qui pourra prétendre que Chandler, Ross MacDonald ou William Irish n'en ont pas fait autant ? Comme dirait l'autre, on reconnaît les bons auteurs au nombre important de bonnes idées qu'ils exploitent, et les grands auteurs à ce qu'ils s'acharnent toujours sur la même. Avec Pelecanos, c'est toujours la même musique à la radio ; de la soul 70's soigneusement choisie avec évocation discographique pointue à la clé, la même fascination pour les bolides avec moteur V8 et revue technique en accompagnement. Avec, comme décor perpétuel, la ville de Washington et ses bas-fonds.
Les personnages de Pelecanos sont de grands enfants qui n'ont jamais trouvé la porte d'un quelconque âge adulte. Le corollaire à leur philosophie de la vie n'est rien d'autre qu'une inconscience soigneusement entretenue par un machisme de façade et une propension avérée à s'absenter du réel par l'alcool et la fumette. La séquence où l'on assiste à une partie de joint tournant dans les cabinets d'un bar, entre trois gaillards distingués, par ailleurs hommes de main et braqueurs professionnels, est à cet égard très significative ; on verra en sortir plus tard une bande de crétins ricanant comme à la sortie d'une messe où ils auraient chouré le vin du même nom au nez et à la barbe du curé.
Le personnage central du roman, Constantin, est en tout cas un des voyous les plus touchants de la production de l'auteur ; ancien Marine, serviable, beau gosse, dilettante et ne craignant personne, il est aussi un type redoutable par son inconscience même ; ne couche-t-il pas le jour de son enrôlement dans une équipe de braqueurs avec la jeune épouse de son employeur ? Ne choisit-il pas au final de commettre l'irréparable en provoquant une tuerie au nom d'un code de l'honneur qui lui est très personnel au lieu de s'envoler sous d'autres cieux, riche, et au bras d'une femme superbe ? Non, quelque chose ne tourne pas rond dans la tête de ces types-là, c'est toujours la même histoire avec les mauvais garçons de Pelecanos, qu'ils soient flics ou voyous ; leur acharnement à bousiller leur propre vie est plus impressionnant que celui qu'ils mettent à briser celle des autres.
Le chien qui vendait des chaussures est un bon Pelecanos. Les lecteurs habitués à ses faux plats et ses longues plages indolentes (que de vaines discussions accoudés au bar) et aux digressions inattendues (apprenez à devenir un bon vendeur de mocassins pour dames tout en leur faisant du plat) ne s'offusqueront pas de ses chutes de rythme. Les montées d'adrénaline n'en sont que plus savoureuses.