Librairie Sauramps - La Lune d'Omaha

François Libraire

La Lune d'Omaha

Jean Amila
La Lune d'Omaha - Jean Amila
Il faut relire Amila de temps à autre pour se rendre compte à chaque fois que sans lui, Pouy, Daeninckx et consorts n'auraient sans doute jamais eu l'idée d'écrire des polars, et que dans la catégorie des francs-tireurs acharnés à traquer les grands et petits travers de la bonne société française des années 50 et 60 (un autre siècle, décidément !), Amila était non seulement un précurseur, mais un bonhomme qui payait de son intégrité physique des engagements politiques et idéologiques risqués.
Sans oublier un écrivain de grand style, aux néologismes percutants, à la verve souvent sans frein (et parfois en roue libre, un peu comme lorsque Pouy se fait emmener par la sagacité de son style en oubliant au passage de raconter son histoire), et à l'imaginaire vagabond.
La Lune d'Omaha est son roman noir le plus connu. Il a fait grincer quelques mâchoires à sa sortie, il en fera encore grincer aujourd'hui. Au cimetière militaire d'Omaha Beach, administré par l'Armée Américaine, le sergent Reilly, ultime rescapé de sa section, va bientôt pèter un câble ; le personnel (français) travaillant sous ses ordres, horde de paysans bas-normands calculateurs et aigrefins, se paie sa tête avec de plus en plus d'ostentation ; sa jeune épouse, de vingt ans plus jeune que lui, s'enfuie de leur home-sweet-home après une scène de ménage inattendue, et pour couronner le tout, il va apprendre, fou de rage, que le vieux père Delouis est non seulement en train de casser sa pipe, mais qu'il a enterré au soir du grand massacre du débarquement des restes de ses vaches avec les ossements des héros américains.
Sur un point de départ aussi fringant, le roman participe en plein à une certaine désacralisation de l'Histoire (ici par exemple, nulle trace d'anciens résistants, pas même la moindre relation d'un acte héroïque quelconque). Amila, on le ressent dès les premières pages, assène quelques descriptions chargées de fiel qui en font un digne petit rejeton du grand Céline lui-même, voire un cousin éloigné de Jim Thompson. 
Rejaillissent ici et là son aversion complète de l'Armée, sa haine des petites mentalités franchouillardes, son mépris de l'esprit de clocher. Reste un roman qui par moments tire un peu à la ligne, notamment dans des dialogues surchargés en commentaires, et en imitations phonétiques un peu fatigantes de l'Américain peinant avec la langue de Corneille (« Les pétits françaises caombines pour toucher l'âgent am'ricaine. Peut-être je save pas la vie... »), qui gâche légèrement notre plaisir et empêche de nous tenir en haleine à mi-parcours.  
Sans gâcher son plaisir, on dira que ce livre ne possède pas le souffle du bouleversant Boucher des Hurlus, et n'atteint pas les sommets d'un polar déconnant comme Langes radieux, faute de n'avoir pas toujours su choisir entre le rire et les larmes. Mais découvrir ou redécouvrir Amila reste un plaisir. Il faut, pour s'en persuader, lire attentivement le premier chapitre, description « à l'estomac » du débarquement vu de la lorgnette affolée d'un GI perdu entre les trombes d'eau et les salves meurtrières. C'était un grand bonhomme, doublé d'un sacré écrivain.