Librairie Sauramps - La Chanson de Colombano

François Libraire

La Chanson de Colombano

Alessandro Perissinotto
La Chanson de Colombano - Alessandro Perissinotto
Il faut remarquer que La Chanson de Colombano fut à l'origine publié par La Fosse aux Ours, excellent éditeur lyonnais qui nous a offert depuis sa naissance quelques belles découvertes (ou redécouvertes) d'auteurs italiens contemporains. Première raison de se précipiter sur ce roman qui passe d'un éditeur qualifié de « littéraire » à une collection de poche estampillée « de genre », comme si on avait voulu prouver qu'un passage de l'un à l'autre validait l'absence de différence entre un genre de littérature noble et une quelconque littérature de genre.
Le roman de Perissinotto est avant tout oeuvre de linguiste. Amoureux de la langue et de toute évidence expert en patois anciens, il a longtemps étudié les parlers qui ont vécu, et pour certains survécu, entre les Alpes italiennes et la Haute Provence. L'idée même survient d'une chanson qui avait traversé les siècles pour tomber dans l'oreille de l'auteur ; une chanson rabotée par les années, dont le sens ainsi que le dénouement ont disparu. Perissinotto se l'est appropriée, et en a conçu cette histoire.
Le motif du roman est très court, mais il suffit au mystère ambiant qui le parcourt d'un bout à l'autre. Quatre personnes sont retrouvées étouffées dans leur sang dans les alpages. Leur voisin immédiat, le tailleur de pierre Colombano, est amené par la vindicte du peuple au tribunal où chacun le voit déjà grésillant dans les flammes du bûcher. Ippolito, jeune juge et ami d'enfance de Colombano, va devoir débroussailler des monceaux de ressentiments et de préjugés à l'égard du pauvre homme, et aller chercher une vérité que tout semble escamoter ; les croyances populaires, les intérêts d'argent de chacun (Colombano travaille depuis 8 ans à l'édification d'un aqueduc traversant le coeur de la montagne, pour le bénéfice de la communauté), les relents de sorcellerie qui font planer la menace de l'Inquisition sur un procès qu'Ippolito juge biaisé par avance.
Il y a bien évidemment des allures du Nom de la Rose à ce petit roman, mais la comparaison s'arrêtera à l'époque, ainsi qu'à la figure candide et incorruptible du jeune juge qui renvoie au personnage du novice dans le roman d'Eco. La particularité de La chanson de Colombano tient surtout au climat sauvage et païen qu'il évoque en marge d'une enquête « encadrée » par la raison et la morale, la justice et la religion dont Ippolito est le représentant officiel. Le salut de l'enquête et de Colombano passera, curieusement, par l'évocation de figures païennes tout droit sorties de la geste populaire (sa rencontre avec l'Homme Sauvage, sans doute l'épisode le plus réussi du livre) et la confrontation avec la rudesse d'un peuple montagnard rompu à toutes les peines.
Mieux qu'un énième roman « historique » à sensation qui utiliserait une quelconque érudition au profit d'une intrigue de petit malin, Perissinotto utilise l'intrigue « policière » au profit d'un amour réel pour la langue et pour les gens du peuple qui l'ont fondu dans la glaise.
La chanson de Colombano ressemble plus à du Ramuz qu'à du Ken Follett. C'est bien la particularité de ce roman que de nous passionner autant en parlant si bien des pierres, du bruit du vent dans les arbres, de l'odeur des hommes, de la terre, des choses simples et réelles qui finissent toujours par dévoiler les mensonges enfouis.
Un très beau roman.