Librairie Sauramps - Coups sur coups

François Libraire

Coups sur coups

Une enquête de l'inspecteur Faraday
Graham Hurley
Coups sur coups - Graham Hurley
Effectivement, les polars « de procédure » tels qu'en écrivent John Harvey, Ian Rankin, Peter Robinson, Bill James, Henning Mankell et maintenant Graham Hurley nous balancent à peu près toujours la même ritournelle : un flic, ni trop intelligent, ni trop costaud, une vie familiale difficile, les contingences contrariantes de la vie de commissariat, des crapules, des malades, des meurtres et des vies gâchées. Tous, absolument tous, mènent leur intrigue sur un tempo saccadé qui balance entre la nervosité épuisante des traques de criminels et le train-train prosaïque de leurs vies quotidiennes.
Tous ont en commun un attachement à un lieu bien précis qui force le réalisme des situations à s'imposer immédiatement. Hurley campe l'inspecteur Faraday dans sa ville natale, Portsmouth, ville portuaire et ouvrière peu à peu gagnée par la fièvre immobilière et par certaines folies des grandeurs. Derrière les à-plats engourdis d'une ville un peu grise, des crimes mystérieux, des disparitions sans cadavre, des cinglés qui agressent les femmes la zigounette à l'air avec des masques de Daffy Duck, des morts en haute mer et des flics qui se démènent entre devoir et conscience - pas toujours nette - afin de coincer leurs proies.
Comme chez McBain ou Bill James, le héros principal n'est pas le seul à se débattre contre le crime et les rivalités. Hurley a la bonne idée d'isoler son personnage et ses méthodes (Faraday est un flic assez orthodoxe) et de nous livrer, au même degré d'importance, le portrait et les méthodes d'autres flics. Le personnage de Winter est à vrai dire le plus intéressant et le plus émouvant des deux premiers polars de Hurley, où les deux hommes se livrent à une sorte de duel à distance dont Winter, pourtant plus efficace et quelque part beaucoup plus perspicace, ressort à chaque fois essoré, isolé, plus seul qu'auparavant.
Le paradoxe flagrant de ses romans tient en ceci que son héros n'en est vraiment pas un (Winter est meilleur flic de terrain que lui), que ses problèmes personnels ne sont pas vraiment terribles (Winter au contraire, dans Coups sur coups (Folio Policier n° 389), se démène avec un drame familial terrible), et quant à prétendre absolument que l'un, Faraday, est un flic intègre et l'autre un policier aux méthodes souvent  borderline, ce serait on ne pleut plus réducteur. Car à la fin de Coups sur coups, Faraday règle une obsession personnelle (régler son compte à un chauffard qui a accidentellement tué une de ses amies) d'une façon que Winter n'aurait pu renier. Obsession pour obsession, Winter, lui, traque pour des motifs également assez personnels mais autrement plus conséquents un ancien chirurgien aux méthodes de boucher qui a bousillé l'existence de dizaines de femmes. Pourtant, l'un et l'autre tiennent et entretiennent, qui son image d'incorruptible, qui sa réputation de ripoux.
On l'aura compris, s'il est bien question de Bien et de Mal, comme dans tout roman noir qui se respecte, et si les policiers de Disparu en mer (Folio Policier n° 344) et Coups sur coups affirment une même pugnacité, eux-mêmes ne sont et ne peuvent être ni blancs, ni noirs. Là n'est pas la question pour Hurley. Pour lui, il y a des hommes de l'ombre, et d'autres à qui les honneurs et la pleine lumière vont beaucoup mieux. Voilà en quoi Hurley, comme Bill James et d'autres, est un grand auteur de polar dit « de procédure ». A personnages et situations quasi identiques, il apporte des appréciations toutes en nuances psychologiques qui en font des modèles de drames humains. Les anglais sont incontestablement les champions dans cette catégorie, et Graham Hurley fait indéniablement partie du club.