La quatrième de couverture de cette réédition insiste sur le fait que nous nous trouvons en présence d'un classique, ce qui forcera le lecteur persistant à aller jusqu'au bout de son effort, et passer outre la sensation bizarre de déséquilibre qui imprègne la première partie de ce drôle de bouquin. Démarrant sur un chapitre onirique très étrange, À nos amours bascule aussitôt dans le polar hard-boiled en occupant très vite les plates-bandes de Horace McCoy, de Hammett et consorts ; New York, son système mafieux, sa corruption, ses meurtres, ses trafics en tous genres, le tout raconté par Buck Saliotte, ponte de la police new-yorkaise et ripoux trois-étoiles.
Et c'est là que la singularité du roman saute aux yeux ; À nos amours n'est pas une aventure policière racontée par un de ses protagonistes, mais la vie d'un personnage de polar racontée par lui-même. Le roman prend alors une autre tournure ; sa construction en montagnes russes, entre séquences brutales de chantage, de meurtres, et celles où notre héros raconte un séjour à l'hôpital pour une bête péritonite, en décourageront peut-être plus d'un en cours de route.
Mais au bout du compte, et au terme d'un final intime et bouleversant, la modernité du roman, sa singularité finissent par emporter l'adhésion. Lorsque les exactions de Frank rejoignent le champ de sa vie privée, on assiste de fait au passage d'un pur roman noir vers autre chose, de résolument en dehors du genre. C'est à se demander si ce livre ne serait pas le chaînon manquant entre le vieux polar et le moderne, entre Hammett et Charles Willeford.
À signaler que la traduction est signée Marcel Duhamel (Monsieur « Série noire » en personne), et qu'elle a beau être excellente d'un bout à l'autre, certains termes d'argot tout droits sortis d'un Auguste Le Breton auraient pû être révisées à l'occasion de cette réédition. C'est un détail de peu d'importance, au fond, au regard de cette belle (re) découverte.