Première enquête d'Eberhard Mock traduite en France, Les fantômes de Breslau de Marek Krajewski a été l'un de mes grands plaisirs de lecture d'avant les vacances. Celles et ceux qui fréquentent la librairie (des personnes brillantes au goût certain) savent aujourd'hui que je suis assez friande de personnages bien rugueux et d'histoires sordides. J'aime le Noir bien noir, et quand il n'y a plus d'espoir c'est encore mieux, même si ça fait mal à la fin. Parce qu'au fond je suis comme tout le monde et j'aime les histoires qui finissent bien, mais comme je suis comme tout le monde, j'aime aussi me faire du mal.
Je range les livres dans diverses catégories, que je listerai peut-être un jour (ça pourrait être un système de classement original à la librairie....). Il y a par exemple les livres que je lis la bouche ouverte, les livres que je lis en riant comme une baleine (attention c'est forcément signe d'un humour de qualité), les livres qui me font pleurer, et il y a les livres que je lis comme je regarde les films d'horreur, en fermant un œil et en laissant l'autre juste assez ouvert pour deviner ce qui se passe, sans que ça me saute à la figure, en serrant les dents et en implorant silencieusement (ou pas) l'auteur d'épargner tel ou tel personnage innocent. "oh non pas lui pas luiiiiiiii !!!!". Ce petit Folio est de ceux-là. Un oeil fermé, les dents serrées.
Les mœurs de Mock n'ont rien d'orthodoxe, ce flic n'est pas exemplaire. Il fréquente les bordels, boit comme un trou, et les dessous sales de la ville, alors allemande en 1919, n'ont aucun secret pour lui. C'est là qu'il se cache des fantômes de la guerre et ses atrocités. Mock n'a rien de sexy, brutal et maladroit avec les femmes, même avec celles qu'il aime, particulièrement avec celles qu'il aime, bref, pas de concession au politiquement correct. Quand les morts s'enchaînent, le touchant de plus en plus près, Mock perd pied, cherche quelle faute le tueur veut lui faire avouer, fait des faux pas, trébuche et s'effondre presque. Mais Mock est un dur. Latiniste émérite, mais un dur. Il tentera jusqu'au bout de sauver ce qui peut l'être, mais on comprend très vite que ce n'est pas une histoire qui finira bien, malgré le talent de Mock, malgré son acharnement.
Breslau, et son histoire chargée est presque un personnage du roman, et Krajewski n'a certainement pas choisi cette ville par hasard, même s'il y vit. Une histoire intimement liée aux lieux qu'elle habite, une noirceur profonde, pleine de mélancolie, des personnages taillés à la serpe, marchant comme des funambules au bort du précipice, frôlant la folie... Les Fantômes de Breslau n'est pas un livre facile à appréhender, il ne plaira pas à tout le monde, mais c'est peut-être ça qui fait la différence. Donnez-vous un peu de peine et pénétrez l'univers sombre de Krajewski, ce petit livre vaut le détour.