Ce livre court, publié en 1995, présente les figures féminines de Charles Juliet. Il retrace la vie des deux mères de l’auteur : celle qui lui a donné la vie et celle qui l’a élevé, ainsi que la vie de l’auteur. La première, paysanne, est décédée lorsqu’il était en bas âge, elle souffrait de dépression et n’avait jamais pu, elle qui était passionnée de français et de mots, exprimer ses ambitions littéraires et scolaires. Elle arrêta sa scolarité à la fin de l’école élémentaire pour s’occuper de la vie de la ferme. Plus tard, elle se maria et eut de nombreuses grossesses. La deuxième, paysanne aussi, a accepté d’accueillir l’enfant au sein du foyer et l’a élevé comme ses autres enfants. Enfin, la vie de l’auteur, souvent parsemée de pensées sombres mais qui finit sur une note d’espoir : « Et tu sais maintenant qu’en dépit des souffrances, des déceptions et des drames qu’elle charrie, tu sais maintenant de toutes les fibres de ton corps combien passionnante est la vie. »
Des phrases courtes, incisives, à la deuxième personne du singulier, un livre qui se lit vite et que l’on a du mal à lâcher, émouvant.
« Tes yeux. Immenses. Ton regard doux et patient où brûle ce feu qui te consume. Où sans relâche la nuit meurtrit ta lumière. Dans l’âtre, le feu qui ronfle, et toi, appuyée de l’épaule contre le manteau de la cheminée. À tes pieds, ce chien au regard vif et si souvent levé vers toi. Dehors, la neige et la brume. Le cauchemar des hivers. De leur nuit interminable. La route impraticable, et fréquemment, tu songes à un départ, une vie autre, à l’infini des chemins. Ta morne existence dans ce village. Ta solitude. Ces secondes indéfiniment distendues quand tu vacilles à la limite du supportable Tes mots noués dans ta gorge. »