C’est l’histoire d’une dépossession totale de soi, d’un conditionnement d’une exceptionnelle ingéniosité, d’une désintégration lente, barbare et méthodique. C’est vicieux, c’est subtil, c’est presque du génie tant c’est cruel. Des jours entiers, Baptiste est maltraité, humilié, drogué, manipulé, fracassé. Ses bourreaux le brisent froidement, méticuleusement, de façon à ôter en lui tout ce qui faisait son essence et recueillir un contenant vide, un corps dépeuplé dans lequel ils pourront y enfouir Yumaï, le nouveau guerrier blond. Un Yumaï qui pourra devenir un enfant-soldat. Un Yumaï qui pourra tuer. Dès lors, Baptiste est mort. Ce qui l’a tué – et comment ça l’a tué – constituera le fil rouge du roman.
L’écriture d’Alain Blottière reste un enchantement : toujours aussi délicate, tout en lyrisme et brisures. C’est sincère, c’est puissant, c’est infiniment respectueux. Aucun jugement ne perce dans le récit de cette atroce captivité : la plume de l’auteur observe, contemple et transcrit. Il s’efface derrière ses personnages, soucieux et fidèle. Il met en valeur leurs disgrâces autant que leurs beautés, il en fait des portraits sensibles et vrais.
On en ressort vacillant, fébrile, nauséeux. C’est un roman qui laisse comme un goût d’acier dans la bouche, ça vous hante et ça vous accuse. L’auteur n’hésite pas à creuser, visiter les entrailles de ces êtres qui ont choisi de tuer au nom de Dieu. Et c’est terrible à dire mais on en vient presque à comprendre comment ce travail de désintégration est possible, comment on en vient à faire d’un gamin, d’un jeune homme, un être-robot dépouillé de toute faculté de raisonnement et de toute lucidité.
Alain Blottière raconte le dépouillement de soi et la monstruosité gratuite avec une déférence et une délicatesse extraordinaires. On ne sort pas indemne de ce roman qui enlace la pureté d’un chagrin auquel on ne peut plus rien à la majesté poignante de la reddition.