Journal d'une lectrice - Requin

Journal d'une lectrice Lecteur

Requin

Bertrand Belin
Requin - Bertrand Belin
J'aime infiniment l'univers musical de Bertrand Belin : poétique, elliptique et onirique, un univers qui s'épure et se densifie d'album en album. Je ne pouvais donc absolument pas passer à côté de son premier roman.
Le narrateur de cette histoire est en train de se noyer dans un lac artificiel près de Dijon, à cause d'une crampe au mollet, alors que sa femme lit tranquillement sur le rivage. Au dramatique apparent de sa situation, il en oppose l'absurdité ; alors qu'il se débat pitoyablement contre l'inexorable, il pointe ce qu'il peut y avoir de saugrenu à mourir en maillot de bain, "par un bel après-midi", en ne laissant derrière soi qu'une femme, un fils et une collection de fossiles. De ce décalage, il tire une méditation ironique et désabusée sur la vacuité de la vie, l'inéluctable de la mort et le tragi-comique de la condition humaine.
J'admire les écrivains qui ont le don de harponner le lecteur dès les premières lignes et de le garder captif jusqu'au point final. C'est exactement le cas de Bertrand Belin. D'abord, parce que sa plume est magnifique, d'autant plus dense qu'elle est portée par une grande économie de moyens. Ensuite, parce que son héros désenchanté n'en est pas moins très drôle, mais de cet humour feutré dont on dit qu'il est la politesse du désespoir. Sa lucidité le pousse à puiser dans sa mémoire les éléments fondateurs de sa vie et à nous les narrer sur le mode de l'autodérision : sa rencontre avec sa femme, une "pêche au lait" dans le port de Dieppe, la mort d'un cygne ; et à briser une forme de sortilège.
En arrière-plan de cette réflexion sur la vie et la mort, entre espoir et désespoir, entre angoisse et indifférence, entre acceptation et refus, l'auteur esquisse un très subtil tableau du monde moderne, où ne manque ni l'avidité technologique, ni le déterminisme social, ni la lutte des classes.
Un premier roman étonnant, qui parvient à transformer la mort en un épisode poético-burlesque, et m'a totalement emballée.