Piochée au hasard de l’immensité des textes que je n’ai pas encore lus de Philip Roth, cette contrevie m’a foudroyée. Jamais encore je n’ai lu de construction aussi vertigineuse, écrite d’une manière à la fois si simple et si précise. Nathan Zuckerman est aux commandes, qui commence par relater la mort de son frère (Bâle), puis son échappée en Israël (La Judée), avant de revenir dans Le Gloucestershire en passant par un absurde détournement d’avion (Dans les airs) et de terminer en Terre chrétienne. Tous les personnages sont les mêmes et sont confrontés aux mêmes choses, en les inversant parfois (ainsi, qui meurt de l’opération ? Les deux frères, qui sont toujours alternativement pourtant vivants…), tous deviennent narrateurs ET personnages et ne cessent de dévoiler la part de fiction qui est en même temps leur réalité la plus vraie. C’est impossible à décrire, à peine plus facile à comprendre en le lisant, sauf que nous tenaille l’excitation la plus réjouie devant les mouvements du texte qui jamais ne nous laissent de côté. Jamais encore non plus je n’ai vus exposées – et de manière aussi fouillée – les interrogations et appréciations contraires quant à ce que veut dire être juif, et la façon dont quelqu’un qui ne l’est pas se voit de toute façon accusé de ne pas pouvoir comprendre à un moment ou à un autre (dans le meilleur des cas). Mais c’est loin d’être le seul thème abordé, la profondeur du roman est immense, et les questions nombreuses : qu’est-ce qu’être frère ? Le couple est-il condamné par essence ? La quiétude est-elle primordiale ? Renoncer est-il sage ? J’en passe, notamment une très importante part consacrée à l’écriture, bien sûr (et à la sexualité, évidemment). Le tout avec un humour prégnant et subtil et sans (trop) de provocation. Un roman à relire de toute évidence, et pas qu’une fois.
En 2012 Martin Amis déclara du livre qu’il était un « chef-d’œuvre de fiction postmoderne … un livre d’une complexité vraiment très impressionnante ».