S'il est des livres uniques en leur genre celui-ci en est l'exemple même. Unique livre de Peter Loughran connu, Marcel Duhamel (l'éditeur historique de la Série noire et traducteur) nous alerte dans sa préface de son hésitation à le publier. Et effectivement, seule la lecture nous fournira la réponse à cette incertitude. Ce serait mal avisé de révéler les clefs de ce mystère mais peut-être puis-je ouvrir quelques portes ?
Un marin, le narrateur, suite à une soirée bien arrosée, traîne sa libido dans les quartiers chauds et « séduit » une prostitué bien mignonne mais bien garce... Ça tourne vinaigre, les gros bras arrivent pour défendre la pauvrette : voilà notre marin lynché, dépouillé de son argent, qui reste avec son érection inassouvie et dans l'impossibilité de regagner son bateau à temps. Au bureau des Commandants du port on lui indique qu'il a la possibilité de se rendre à Londres par le train et regagner l'embarcation dans deux jours.
Nous retrouvons le « mataf » dans son compartiment, accompagné d'une petite fille qui va retrouver ses parents au terminus, de deux bonnes soeurs et de ses revues de charmes (frustré de ne pouvoir les regarder). Alors, il a tout le temps de nous livrer sa philosophie de la vie au fil du voyage : des anecdotes de marins (avec Roderick dans un bordel japonais qui s'essaye aux voluptés asiatiques), des souvenirs de gosses, de sa vie affective (il largue sa fiancée quand il apprend qu'elle est enceinte), des femmes (on se rend compte qu'y a en fait que deux sortes de femmes, les jolies, qu'aiment ça, et les moches, qu'adorent ça.) de sa réflexion sur la religion et la Martyre Sainte Agnès (il encaisse pas les nonnes), la politique... Il nous parle de « son » monde tel un Candide, tel un rêveur frustré. On s'attendrit presque. Mais lorsqu'il commet irréparable, cela s'inscrit dans un pathos qu'on sent enfouis au plus profond de sa nature inhumaine. Ça relève de l'analyse psychanalytique et dès lors, on comprend le pourquoi du comment. Notons que ce livre fut écrit en 1966 et que le choc pouvait être de mise par rapport à aujourd'hui, compte tenu des thrillers psychologiques publiés massivement de nos jours. Londres Express est certainement précurseur dans le genre mais bien plus encore. La narration du récit est d'une maîtrise formidable, les flash-back font monter en puissance l'ambiance pesante et l'annonce de la scène finale : fulgurance et apothéose de ce chef-d'oeuvre.
Allez vous faire du mal dans le Londres Express.