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Publié le 04/07/2023

Pour une littérature inclusive

Pour une littérature inclusive

Parcourir l’ensemble du catalogue « Folio » ainsi que j’y ai été invitée, c’est un peu comme se promener dans les réserves d’un grand musée. Il y a tant de trésors, de titres inventifs et inattendus, de couvertures suggestives. Tant de découvertes à faire, de merveilles à s’approprier, d’auteurs à connaître ! Et les autrices ? Elles sont partout, dans toutes les collections et dans tous les genres, autrices françaises, francophones et étrangères, autrices du passé, autrices d’aujourd’hui.

Mais, dira-t-on, ne serait-il pas préférable, afin de les faire mieux voir, de les isoler, de les mettre à part ? Le geste a été tenté entre 2007 et 2011 dans la collection « Folio 2 € » avec la série « Femmes de lettres ». Une vingtaine de titres ont été édités, depuis des extraits des Mémoires de Marguerite de Valois au XVIe siècle jusqu’à une nouvelle d’Elsa Triolet, Les Amants d’Avignon, au XXe, et avec eux des textes de Marie-Catherine d’Aulnoy, Marie-Madeleine de Lafayette, Marie de Sévigné pour le XVIIe siècle, Gabrielle de Villeneuve, Isabelle de Charrière, Marie-Jeanne Riccoboni, Félicité de Genlis, Henriette Campan, Germaine de Staël, Jeanne-Marie Roland et Olympe de Gouges pour le siècle suivant, George Sand, Flora Tristan, Marie d’Agoult, Sophie de Ségur, Isabelle Eberhardt, Renée Vivien au XIXe siècle et Simone de Beauvoir et Annie Ernaux au XXe. C’était une manière de rendre visibles des œuvres de ce « matrimoine » considérable constitué par des autrices de toutes les époques et de tous les styles, en faisant état de la diversité de leurs démarches et de la multiplicité de leurs voix. C’était aussi une façon de les rendre à nouveau disponibles, dans une perspective de redécouverte et de revalorisation.

Aujourd’hui, le regard critique a changé. S’il n’est pas question d’ignorer la présence des femmes en littérature, comme dans tous les autres domaines de la création artistique, il ne s’agit pas de les considérer ensemble, enfermées dans une identité commune, celle que leur conférerait d’office le sexe qui est le leur. Un tel principe a été affirmé avec force dans la préface de Femmes et littérature. Une histoire culturelle, paru en « Folio essais » en 2020 : aujourd’hui comme hier, le domaine de la littérature compte des hommes et des femmes qui font et qui ont fait métier d’écrire, qui sont et qui ont été poètes, dramaturges, essayistes, journalistes, épistoliers et épistolières, romanciers et romancières, et ont parfois travaillé ensemble. Cette histoire-là conduit de Marie de France (la première écrivaine de la littérature française, au XIIe siècle) à Leila Slimani ; elle dure depuis neuf siècles et assure la grande singularité de la production littéraire de langue française. Elle se doit de trouver pleinement sa place dans tout récit portant sur l’histoire et sur l’état actuel de la littérature : elle en fait partie, et comme telle doit également faire partie des connaissances littéraires communément appréciées et partagées dans le cadre des enseignements à l’école comme des loisirs à la maison.

On se rappellera que, à de rares exceptions près, les autrices du passé ont rencontré bien plus de difficultés à entrer, à appartenir, puis à figurer officiellement dans un domaine d’activité associé depuis l’Antiquité à l’intelligence, au talent, voire au génie, domaine que les hommes considéraient être « naturellement » le leur et dont ils cherchaient volontiers à s’assurer l’exclusive. Les choses ont changé à proportion des changements qui ont gagné l’ensemble de la société. Aujourd’hui, les femmes sont plus visibles en littérature et en sciences humaines, mais dans le roman, genre longtemps dévalorisé, plus volontiers qu’au théâtre, en poésie ou dans le domaine de l’essai ; leurs œuvres font moins systématiquement l’objet d’attaques et de moqueries au seul titre de leur appartenance sexuée ; l’histoire littéraire contemporaine, davantage que les essais critiques, leur accorde généralement la place qui leur revient. L’égalité est loin d’être obtenue, dans ce domaine comme dans tant d’autres, mais elle poursuit son chemin avec détermination.

Les directrices des collections « Folio » ont choisi une ligne éditoriale claire : elle consiste à ne plus placer les œuvres des femmes « à part », dans une catégorie qui serait en marge de la grande littérature, mais à leur accorder une attention particulière en veillant à leur plus grande visibilité et à leur disponibilité dans les collections de poche, c’est-à-dire pour le plus grand public. Le geste est particulièrement bienvenu : il faut que les œuvres des femmes puissent se retrouver dans toutes les mains, que les noms des autrices deviennent peu à peu aussi familiers que ceux des auteurs, qu’une vraie familiarité avec la part féminine de la littérature se construise pas à pas, instituant une égalité entre autrices et auteurs.

On trouvera ici une sélection de vingt titres extraits d’un ensemble conséquent de textes de toutes natures, dont des biographies, choisis dans le catalogue « Folio ». Ils sauront témoigner de la remarquable inventivité d’autrices, penseuses, chroniqueuses et dramaturges d’autrefois et d’aujourd’hui. Ils serviront d’indices à une présence active, multiple, diversifiée des femmes en littérature (entendue au sens large), présence que le 8 mars appelle à distinguer – jusqu’au moment où cette distinction ne sera plus nécessaire. Bonnes lectures !

Martine Reid

Professeure à l’Université de Lille