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Cavalier seul de Jérôme Garcin

Rencontre avec Jérôme Garcin à l'occasion de la parution de Cavalier seul en janvier 2006.

En avant-propos de Cavalier seul, vous affirmez ne pas être attiré par l'écriture d'un journal intime, et pourtant…

Jérôme Garcin  — En effet, ce n'est pas un genre qui est mien. En même temps, je me suis rendu compte qu'il s'agissait peut-être là de la seule manière de mettre un point final à ce qui est non seulement une aventure intérieure, mais encore un travail de deuil et un processus de mémoire.
Finalement, j'ai traité ma passion de l'équitation et mon histoire avec les chevaux sous trois formes très complémentaires : le récit avec La chute de cheval, le roman vrai avec Bartabas, roman, et ici le journal intime.
Pourtant, j'avais commencé ce journal sans avoir le sentiment d'écrire un livre. Je me contentais de noter ce que je ne voulais pas oublier. Puis, au fur et à mesure que l'ouvrage s'écrit, je change ma plume d'épaule, je me prends au jeu. Surtout à partir du moment où je sais quelle en sera l'issue : lorsque le vétérinaire m'annonce que je devrais me séparer d'Eaubac, mon cheval, souffrant d'arthrose, vers septembre 2005.

Sa maladie aura fait de vous le « cavalier seul » du titre… mais jusqu'à quand ?

Jérôme Garcin  — Naturellement, je n'ai pas cessé de monter, mais uniquement parce que j'en ai physiquement besoin. Je ne reprendrai pas un autre cheval : c'est une histoire d'amour, pas seulement une histoire de cavalier, qui vient de se terminer. Et il aura fallu cette rupture pour que je comprenne combien, finalement, ces quelque quinze années de passion équestre dévorante, pathologique, avaient été la métaphore d'autre chose. La preuve, c'est que depuis septembre 2005 je n'écris plus une ligne sur les chevaux ! En revanche, je me suis jeté avec passion dans l'écriture d'un roman où je ne cède plus à mes démons, que ce soit la mélancolie, le passé ou le deuil du père. Ce qui se passe aujourd'hui n'a plus rien à voir avec ce que j'ai vécu pendant des années.
Cela dit, on voit bien dans Cavalier seul que je reviens doucement, et douloureusement, sur terre.

Ce livre témoigne aussi de votre émerveillement devant la présence croissante du cheval ?

Jérôme Garcin  — C'est un angle de vision un peu faussé par le principe même du journal ! À partir du moment où je n'y fais entrer que ce qui a trait à cette passion exclusive et dévorante, on pourrait croire que dans la vie quotidienne d'un individu nommé Jérôme Garcin entre 2003 et 2005, le cheval est omniprésent ! C'est évidemment faux.
Pourtant, en prenant un peu de recul, on se rend compte que le cheval fait un retour en force tout à fait étrange, alors que tout le condamnait, de l'industrialisation à la motorisation des armées. Rien qu'en France, plus d'un million de personnes pratique l'équitation. Qu'il s'agisse des bienfaits, y compris thérapeutiques, de l'équitation, de la sauvegarde de la nature, du tourisme vert… notre époque prête toutes les vertus au cheval.

Quels rapports sentez-vous entre l'écriture et le cheval ?

Jérôme Garcin  — Le cheval m'a permis d'écrire, et c'est primordial. Il m'a autorisé à dire ce que je n'aurais jamais dit auparavant. J'ai le sentiment d'avoir osé commencer à écrire avec La chute de cheval, et c'est grâce à l'équitation. Concernant la forme, je crois avoir cherché à reproduire, dans la phrase, consciemment ou inconsciemment, les allures du cheval, au pas, au trot, au galop…
D'autre part, quand on travaille un cheval pendant longtemps au dressage, on dit qu'on le « gratte » : c'est un verbe qui est très lié à l'écriture ! L'effort est le même pour arriver au mot juste et à l'attitude juste. En même temps, ce travail doit paraître d'une simplicité biblique.
Je dirai aussi que le cheval m'a aidé à mieux lire, avec mon corps et pas seulement avec mon esprit.

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