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Sept histoires qui reviennent de loin de Jean-Christophe Rufin

Rencontre avec Jean-Christophe Rufin à l'occasion de la parution de Sept histoires qui reviennent de loin en mai 2011.

Comment entendre l'expression «qui reviennent de loin» ?

Jean-Christophe Rufin — Il y a là un jeu de mots qui porte sur le temps et l'espace. Ces histoires «reviennent de loin», soit qu'elles nous emmènent loin, vers des pays exotiques ou d'autres cultures, soit qu'elles reviennent du passé, comme la nouvelle «Nuit de garde». Soit, encore, parce qu'elles font le lien entre distance géographique et distance temporelle, comme dans «Train de vie», qui raconte le destin d'une jeune Malienne qui vit en Europe et que le narrateur a rencontrée par hasard sept ans plus tôt.

Tous les personnages sont, d'une façon ou d'une autre, rattrapés par leur passé… ?

Jean-Christophe Rufin — Effectivement, ce sont aussi des histoires qui surviennent au présent en revenant du passé, et c'est cette émergence du passé qui va transformer les personnages. C'est vrai dans «Les naufragés», et plus encore dans «Le refuge Del Pietro», où l'on assiste à une double confrontation entre hier et aujourd'hui : la première entre le narrateur, un homme de maintenant, et le montagnard, figé dans une tradition désuète ; la seconde dans l'esprit même du montagnard, écartelé entre la nostalgie de la montagne de sa jeunesse et les déceptions que lui réserve la montagne au présent.

La nouvelle «Garde-robe» montre que les leçons de notre passé sont sans valeur pour d'autres cultures…

Jean-Christophe Rufin — J'ai voulu que toutes ces nouvelles soient à la fois légères et jamais gratuites, c'est même l'un des fils conducteurs du recueil. Dans «Garde-robe», je traite de la question de la mémoire, en l'occurrence celle de la Shoah et de la Seconde Guerre mondiale, en ajoutant la notion d'espace, à la fois espace géographique et espace d'une perception culturelle différente. Car la mémoire des uns n'est pas la mémoire des autres, et si les drames du passé peuvent – peut-être – servir d'exemples dans le champ culturel qui les a produits, ils n'ont aucun sens dans des champs culturels extérieurs.

Pour quel personnage éprouvez-vous le plus de tendresse ?

Jean-Christophe Rufin — Celui qui me touche le plus est le montagnard frustré du «Refuge Del Pietro». D'abord parce qu'à la base, cette histoire est vraie : j'ai effectivement rencontré, au retour d'une course en montagne, quelqu'un qui m'a raconté une histoire similaire. Ce récit de sa frustration devant un passé évanoui m'avait terriblement attendri. Au moment où cet homme prend sa revanche sur tout ce qu'il a pu vivre, ou plutôt ne pas vivre, tout ses repères s'écroulent : la vie a changé, la montagne a changé, et même ce qu'il croyait bâti sur le roc n'existe plus !