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Publié le 04/09/2023

Poche et Poches

Daniel Pennac

Nous sommes lents. Il nous a fallu une éternité pour inventer la poche. Une deuxième éternité pour nous dire qu’elle pouvait contenir des livres. Une troisième pour réaliser que les livres chers n’y entraient pas. Une dernière, enfin, pour concevoir des bouquins à la taille des poches. Alors, seulement, les livres se sont vraiment répandus. Cela s’est passé dans mon adolescence et ce fut un événement considérable. Comme si pour la première fois dans notre histoire nous admettions que les livres n’existaient pas pour les riches seuls. Que la culture ne relevait pas de la propriété privée. Que tout porteur de poche avait le droit de lire. Que les livres devaient passer des uns aux autres. Que le lecteur était avant tout un relais de ce passage. Qu’il nous fallait des livres, des partageurs et des poches. Et, particulièrement, ces livres qui naguère n’y entraient pas. À dater de ce jour, Montaigne, Balzac, Goethe, Dickens, Woolf, Tchekhov, Madame de Lafayette, Melville, Hikmet, Baldwin, Yourcenar, Senghor, Cervantès, Pirandello, Kawabata, Mo Yan, Lagerlöf, O’Connor, et tous les autres, se sont mis à nous accompagner dans le métro. Un seul inconvénient, ils nous ont fait rater pas mal de stations. Est-ce une raison suffisante pour ne pas soutenir frénétiquement le livre de poche ? Franchement ? 

Daniel Pennac

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