Coup de coeur

• Libraire

  François Huet - Librairie Sauramps (Montpellier)

  L'entame du bouquin est sensationnelle : « ... Je n'ai pas aimé sa manière de parler ; et d'agir non plus. Froide. Dure. Hautaine. Comme si on était de la crasse et lui un balai tout neuf ». Un étranger ... arrive dans un petit bled de Californie, Pomo, ses bars, son shérif soupe-au-lait, son institutrice célibataire, sa nymphomane, son journaliste alcoolo, ses grenouilles de bénitier, ses petits délinquants, ses fillettes de 17 ans enceintes des oeuvres de leur petite racaille de boyfriend, ses petites mentalités perverses qui pourrissent le quotidien de tout un chacun.
  Sur ce bon vieux schéma classique de l'intrus venu de nulle part servant de révélateur aux grands et petits travers de tout le monde, on se souviendra de pas mal de westerns et d'autant de polars. Mais cette version moderne de Celui par qui le scandale arrive apporte quelques suppléments d'âme au bon vieux canevas. Parce que d'une part John Faith, le malheureux héros de cette histoire, est physiquement très particulier : « Grand, l'air méchant. Les tendons du cou épais comme des câbles, deux billes d'acier à la place des yeux, des marques de variole sous les pommettes, et une cicatrice en forme de T sur le menton. » Cette montagne faite homme n'est que le croisement douloureux entre le sosie de Boris Karloff et un grand grizzly, et très vite toutes les inimitiés lui tombent dessus, celles des hommes surtout.
  Bâti sur un schéma polyphonique (un témoin, une voix, un chapitre), le roman imbrique plusieurs visions de John Faith (sauf la sienne propre, laissant au personnage une certaine part de mystère) avant que, à la manière des fameux destins croisés du Short cuts de Robert Altman, les différentes actions se percutent entre elles et produisent l'irréparable. Le Crime de John Faith est alors, très clairement, un remake moderne de certains chapitres de Frankenstein (ceux où la créature est traquée par les villageois), renvoyant à l'Amérique des petits blancs à ses vieux démons fascisants.
  L'aspect sexuel du roman est également très étonnant ; très vite traqué par le shérif, provoqué par les ivrognes dans les bars, détesté derechef et à priori par tous les hommes qui voient en lui, secrètement, un adversaire insurpassable, John Faith attire d'emblée l'affection des femmes ; Storm, la mangeuse d'hommes, le veut pour des raisons évidentes. La jeune Trisha, paumée et enceinte, trouve en lui un père de substitution, compréhensif et affectueux, voire un possible amant. Quant à Lori la serveuse, qu'un mari envoie chaque soir au boulot avec des bleus au visage, elle voit très vite en lui ce que son visage terrifiant et sa carrure de colosse ne peuvent que masquer : « Tout gigantesque et baraqué qu'il fût, à l'intérieur il était aussi malheureux et triste qu'un petit garçon égaré. »
  Au bout de cette chasse à l'homme trépidante (Pronzini est un vieux routier du genre), on regrettera juste, le temps d'une trentaine de pages, pas loin de la fin, un rebondissement un rien poussif qui fait s'affaisser un instant cet édifice impeccable. A ceci près, Le Crime de John Faith est une vraie merveille, un pur polar à vous faire tenir une nuit blanche, autant qu'un livre à l'humanité jamais surfaite. Ce parfait mélange donne un véritable chef-d'oeuvre du genre. C'est dit.

  LIRE LA SUITE